Le soleil projetait toutes les verticales
A terre, où elles s'étiraient, monumentales.
Et lorsque l'infini elles atteindraient,
Le Jour serait dissous et la Vie changerait.

En cette heure, le soleil, Midas flamboyant,
Mutait la ville grise en métaux précieux.
Le vieux bois en bronze, l'eau trouble en vif-argent
En platine et en or, les murs disgracieux.

La plus humble masure, la plus ancienne épave,
Prenait des allures de palais fabuleux,
Rehaussé des ombres de bâtiments en feu.
Dans chaque fenêtre ruisselait de la lave.

Les rues, tantôt vrombissantes et chaotiques,
S'étaient vidées d'un coup : beaucoup étaient rentrés.
Certains fainéantaient, aux arcades gothiques,
D'autres dans les sous-bois ou vautrés dans les prés.

Un étranger résistait, alors qu'autour de lui, le soleil :

Trans mutait les pierres en apparence
Trans muait la lumière en brillance
Trans figurait la ville vers une renaissance
Trans migrait les âmes hors de toute souffrance
Trans cendait les esprits en une délivrance
Trans formait les coeurs remplis d'espérance
Trans gressait le réel pour créer l'évanescence
Trans mettait le rêve, qui prenait tout son sens
Trans vasait le feu de l'originelle Naissance
Trans fusait la lave, précieuse essence
Trans férait les hommes en une transhumance
Trans itoire, une errance.

Seul, Maël s'était assis en tailleur au milieu du boulevard bordé d'arbres à intervalles réguliers.
Le soleil vint en face et attendit que Maël fît un geste.
Les arbres retenaient leur souffle.
Tournant lentement la tête, Maël regarda le plus proche, à sa gauche.
C'était un châtaignier.
Il eut un frisson de nervosité qui agita l'extrêmité de ses branches.
Le regard de Maël se porta sur le suivant.
Puis sur le suivant.
Puis le suivant.
Le suivant.
Il ne pouvait plus les distinguer, les séparer du regard.
C'était une forêt linéaire, face à une autre forêt linéaire.
Aux orées, les deux derniers soutenaient le feu, un double bougeoir.
Maël se demanda s'ils s'enflammeraient.
Les brasiers fonceraient d'arbre en arbre, donnant au soleil deux bras pour l'atteindre.
Il allongea du regard le boulevard et repoussa le soleil.
Leur regard se croisèrent et il soutint celui du cyclope.
Un petit nuage blanc se forma sur le côté du globe et descendit lentement.
L'astre pleurait de ne pouvoir cligner.

Maël avança les mains, lentement, pour ne pas l'effrayer.
Il encercla le disque d'or de ses doigts et, les refermant lentement, éteignit le soleil.
Alors, passant à un rouge sombre qui s'étalait dans le ciel, le moribond s'enfonça dans le sol.
Un vent léger se leva et vint souffler au visage de Maël.

" Que faites-vous donc là ?
C'était une voix féminine, basse, amusée.
- Je résistais.
- A quoi ?
- Au soleil.
- Et vous avez été terrassé, vous êtes à terre.
- Certaines luttes peuvent se livrer au sol.
- Vous avez donc vaincu ?
- Bien sûr. N'est-il pas descendu aux enfers ? Ne suis-je pas resté le même ?
- Ce n'est qu'une ruse. Il reviendra demain, toujours aussi puissant.
- Que savez-vous de demain?
- Il en est ainsi depuis l'aube du temps et pour l'éternité.
- Mais le temps lui-même peut s'arrêter. J'aurais alors remporté la dernière victoire.
- Mmm. Vous prendriez-vous pour celui qui occit le soleil et arrête le temps ?
- Pour ce temps, pourquoi pas, si je le rêve. Demain sera autre.
- Et maintenant ?
- Viendrez-vous avec moi ?
- ... Vous ne m'avez même pas vue.
- Je t'ai entendue.

Maël tendit la main derrière lui et sentit des doigts s'y glisser, un peu hésitants.
Il posa la main inconnue sur sa joue.
Puis il sentit des cheveux effleurer son front.
Sans ouvrir les yeux, les nouveaux amants furents baignés d'une nouvelle clarté.

- Ce soleil a peut-être gagné, finalement. "