Brigitte Sifaoui avait 13 ans, et son petit frère, 9. Un soir, un rôdeur aborde le garçonnet, l'enlève et le tue. La fillette n'a jamais vu son corps. Elle n'a pas assisté aux obsèques. Elle n'était pas présente au procès. Elle sait juste que son père n'a pas souhaité la peine de mort. C'était il y a plus de trente ans. Et puis, un jour, elle a demandé à rencontrer l'assassin en prison (1).

«Comment vous vous y êtes pris ?» demande Mireille Dumas. «Le directeur m'a dit : "C'est la première fois qu'on me fait une telle requête. Le règlement n'interdit pas aux familles des victimes de rencontrer l'assassin d'un proche, mais il faut qu'il soit d'accord." Et là, j'ai été touchée d'apprendre qu'il attendait ça depuis vingt ans, alors qu'il avait refusé les visites de sa famille.» «Vous avez passé plusieurs heures avec lui ?» «Trois heures et demie. J'ai rencontré cet homme avec toutes les questions que j'avais à poser et lui, complètement à ma disposition pour y répondre. Il avait peur que je l'agresse, m'a-t-il dit après.» «Dès que j'ai vu votre regard, j'ai compris que vous n'étiez pas là pour me casser la figure.» «Mais moi aussi, j'avais très peur de mourir, de ne pas survivre à cette rencontre. Il a commencé à me demander pardon.» «Ça vous a fait du bien ou pas ?» «J'étais un peu gênée sur le moment. Je ne me sentais pas prête à pardonner comme ça, alors qu'il ne m'avait pas raconté comment il avait tué mon frère.» «C'est ça que vous vouliez entendre aussi ?» «Je voulais qu'il m'explique. Pourquoi il avait accosté mon frère ? Pourquoi il l'avait emmené dans ce petit bois ? Est-ce qu'il l'avait violé ? Est-ce que mon frère a souffert ? Est-ce qu'il lui a dit quelque chose avant de mourir. J'avais besoin de détails autres que : "Ton petit frère a été assommé, étranglé, il n'a pas souffert."» «Vous avez écrit avoir eu devant vous un homme usé, rongé par le remords, hanté dans son sommeil.» «Moi qui le fantasmais à la façon d'un acteur de Midnight Express ou de l'Evadé d'Alcatraz, j'ai vu un petit bonhomme minable, misérable dans son costume gris, avec la bouche édentée et les ongles rongés jusqu'à la racine. Il a eu envie de se suicider. Il m'a dit que c'est parce qu'il était croyant qu'il ne l'avait pas fait. Quand nous nous sommes séparés, je lui ai tendu la main pour lui dire adieu et lui a vécu ça comme un pardon.» «Ça vous a surpris de lui tendre la main ?» demande Mireille Dumas. «Je n'avais rien prévu. J'ai été surprise par la joie avec laquelle il l'a accueillie», répond Brigitte Sifaoui.

(1) C'était mercredi à 22 heures, Vie privée, vie publique sur France 3.