C’est par ces mots que Monsieur B., 39 ans, ajoutait ce matin un nouvel élément à l’épais mystère rôdant autour du Mur Montfaucon, au fond de l’impasse éponyme de notre ville. Cette nuit, vers 3h du matin, Monsieur B., insomniaque, s’est levé pour boire un verre dans la cuisine, comme il le fait souvent. C’est en retournant se coucher qu’il jeta un coup d’œil machinal par la fenêtre de son appartement du troisième étage, dans la rue éclairée par la lumière jaune des lampadaires. C’est ainsi qu’il vit courir à vive allure un homme dans l’avenue Quasimodo, poursuivi par deux policiers en uniforme, munis de sifflets. L’homme était étrangement habillé d’une grande cape noire sur un pantalon noir et une chemise blanche ainsi que d’un chapeau haut de forme lui tenant miraculeusement sur la tête malgré sa course folle. Il s’engouffra soudain dans l’impasse et continua à courir sans ralentir. « Alors j’ai ouvert la fenêtre, continua-t-il, pour pouvoir voir le fond de l’impasse en me penchant et je l’ai vu ! D’abord il s’est arrêté devant le Mur et il y avait de drôles de lumières qui dansaient autour de lui. Puis quand les policiers ont crié, il s’est retourné et il est rentré dedans ! Comme je vous le dis ! »

Une origine aussi ancienne qu’inconnue
Le Mur. Figurez-vous une maçonnerie rectangulaire d’une dizaine de mètres de long, haute de quatre et épaisse d’un bon mètre, sans aucune courbe ni angle autre que droit. Il est constitué de moellons irréguliers d’une roche alvéolaire et d’éclats de silex, noyés dans un mortier noir, renforcé de lourds blocs géométriques empilés, par intervalles d’un mètre environ. Aucune trace de peinture, aucune affiche ni graffiti ne viennent trancher sur son imposante noirceur. Il barre le fond de l’impasse, sans toucher les maisons de chaque côté, s’arrêtant à 10 centimètres des façades. Son bord supérieur est irrégulier, comme inachevé ou partiellement démoli. Certains supputent qu’il aurait été plus haut, d’autres qu’il soutenait un aqueduc ou une passerelle ou encore qu’il ait fait partie d’un bâtiment : un gibet oublié, une prison, un temple païen. Il aurait plusieurs siècles, même si personne à ce jour n’a pu retrouver la trace de sa construction dans les archives. Et malgré ce grand âge, il tient debout sans l’assistance d’aucun soutènement. Naturellement, les maisons mitoyennes sont inoccupées au grand dam de leurs propriétaires qui ne peuvent rien en faire. Et derrière ? Un jardin en friche dont le propriétaire reste injoignable.

Les Mythes
Ce mur, tous les habitants du quartier Esméralda le connaissent. Il n’en est pas un qui ne soit en mesure de raconter une anecdote mélodramatique le concernant. C’est ainsi que se créent les mythes. Il aurait à son compte une dizaine de disparitions étranges, des apparitions fantomatiques, des maladies inconnues, incurables, très douloureuses et bien entendu toujours mortelles, des crises de folie, des femmes rendues stériles et d’autres mises enceintes malgré une virginité prétendument irréprochable, des éclairs de lumière, des bruits inquiétants, des odeurs pestilentielles, des vibrations alarmantes, des angoisses, des cauchemars. On l’a supposé creux, donnant logement à certains personnages romantiques (et fluets), relié à des souterrains, construit sous l’influence de créatures maléfiques ou chtoniennes, lieu de messes sataniques. Il se pourrait même qu’il enferme une « porte » vers l’au-delà ou une dimension parallèle. Bien entendu, jusqu’ici, aucun témoignage vécu. Non, c’est toujours « l’homme qui a vu l’homme... ». Cette fois-ci, au moins, il y aurait un véritable témoin oculaire.

Toute la matinée, les habitants du quartier sont venus soutenir leur voisin et éventuellement essayer d’obtenir plus de détails. Certains courageux sont retournés examiner le monument, en évitant soigneusement de le toucher. Vers midi, un embouteillage s’était formé dans les rues avoisinantes pendant que les vendeurs à la sauvette de boissons et autres souvenirs avaient fait leur apparition. Interrogée, la Police s’était tout d’abord refusée à tout commentaire. C’est plus tard dans l’après-midi que le commissaire divisionnaire a admis que le tournage voisin du film « Arsène Lupin », à grands renforts d’effets spéciaux, n’était peut-être pas étranger à l’affaire.

Depuis, les volets de Monsieur B. restent fermés, le quartier a retrouvé son calme et le Mur qui en avait vu d’autres, son stoïcisme.