Article de Cerveau et Psycho n°13 de janvier 2006 (magazine issu du très sérieux "Pour la Science"), par Sébastien Bohler.

Cinq mètres de hauteur, six tonnes de marbre et un million de visiteurs par an : la statue David de Michel-Ange est la plus admirée au monde. Elle est aussi la plus dangereuse. Depuis quelques années, des centaines de touristes ont été transportés d'urgence à l'Hôpital de Florence pour y être examinés. Après avoir regardé trop longtemps la célèbre statue, ils ont été frappés d'un mal étrange.

Ainsi, un touriste anglais de 40 ans est retrouvé un jour au pied de la statue. Il se débat comme un forcené, se roule par terre, n'entend ni ne voit plus rien. Dans un état d'amnésie partielle, il ne se souvient plus de rien depuis qu'il a vu un tableau du Caravage, quelques minutes auparavant. Des dizaines d'autres seront ainsi conduits au service psychiatrique de l'Hôpital Santa Maria Nuova, où ils seront examinés par une spécialiste de cette étrange épidémie, Graziella Magherini.

Après les avoir étudiés pendant plusieurs années, la psychiatre a conclu que la statue de Michel-Ange est douée d'un singulier pouvoir sur les sens, qui dépasse celui des autres oeuvres d'art. C'est la beauté extrême de la statue qui, dans un monde entièrement différent de celui de la Renaissance, provoque des crises d'anxiété. L'anxiété résulte souvent d'un changement de contexte et d'un sentiment d'inconnu : c'est ce sentiment d'inconnu qui déstabilise les victimes, pour la plupart des touristes américains dont le monde esthétique est souvent très différent de celui de Michel-Ange.

Pour étayer cette hypothèse, G. Magherini a constaté que les Florentins sont immunisés contre ce syndrome : ils habitent au milieu même de ces merveilles architecturales et sculpturales. De même, les Japonais sont peu enclins aux crises, car leur culture est imprégnée de recherche esthétique et qu'ils planifient leurs visites de façon si minutée qu'ils n'ont pas le temps de s'extasier devant cette oeuvre d'art.

Ajoutons que certains tempéraments seraient plus sensibles à la beauté et davantage vulnérables aux effets du David. C'était le cas de Stendhal, qui décrivit lors d'une visite de l'Église de la Sainte-Croix de Florence en 1817 les symptômes que constatent aujourd'hui les médecins : palpitations, sueurs, confusion de l'esprit et des sens. Faites-vous partie de ces âmes sensibles ? Le test est facile à réaliser : si vous passez à Florence, rendez-vous à la Galerie de l'Académie, où se trouve la statue de David.

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Que croire ? L'homme moderne ne supporterait-il plus la vue de la beauté ? Je vous laisse réfléchir...