Non, il y a des jours comme ça où je trouve tout le monde beau, les femmes, les hommes, les jeunes, les vieux, les blancs, les noirs, les bleus, tout le monde. Pourtant, il faut le vouloir. Dans le métro, tout le monde fait la gueule et il faut vraiment regarder les gens, à tel point qu'on finit par se prendre un regard courroucé, du genre « mais kestum'veut, ta ? ».

En fait, les gens ne font pas la gueule, dans le métro, le matin. Il n'ont aucune expression. Ils sont dans leurs rêves, ils viennent de quitter leur foyer et vont bosser. Ils dorment encore à moitié. Ils pensent un peu à leur famille, à leurs gosses qu'ils viennent de laisser à l'école, s'ils ont bien fermé la porte. Et ils pensent aux réunions du jour, s'ils ont bien tout préparé, ils commencent à bosser dans leur tête. Alors, c'est sûr, quand on vient leur parler, on les dérange, comme on rentrait dans leur bureau sans frapper.

Le soir, ils sont crevés et ils pensent aussi à leur boulot qu'ils quittent et à la famille qu'ils vont retrouver, qu'est-ce qu'on mange ce soir, et m... j'ai oublié d'envoyer la confirmation du truc à Dupont. Mais certains sont malgré tout plus détendus. Beaucoup en profitent pour passer dans un magasin regarder les vitrines, s'acheter un bouquin, un colifichet. La Carte Orange me coûte plus en passages à la Fnac qu'au distributeur automatique de coupons.

Bon, j'avoue que je ne suis pas toujours dans cet état d'esprit, notamment quand je me suis fait agresser par un type qui voulait me faire les poches violemment dans le métro, devant tout le monde, sans que personne ne bouge. La fois où un crétin occupe des sièges parce qu'il s'étale et menace de me taper quand je lui demande de libérer un place est aussi assez mémorable. Et puis quand je vois ceux qui ne s'arrêtent pas, ne regardent même pas les malheureux qui crèvent sur le côté, je me dis qu'il ne sont pas très beaux, ceux-là.

Et bien malgré tout cela, il y a des jours où je trouve tout le monde beau. En général, j'entends à ce moment-là Louis Armstrong chanter « what a wonderfull world » dans quelque radio. Personne n'a l'air vraiment méchant, je me dis que beaucoup pourraient être de ma famille, celui-là pourrait être mon père, mon frère, ma femme, mon enfant. Rien ne les différencie, ils sont normaux, beaucoup plus normaux que ceux qu'on voit à la télé, maquillés, pouponnés, déformés par les projecteurs et la caméra. Ceux-là sont réels et ils sont beaux parce qu'ils sont vrais.

Vous aussi, dites-vous que les gens sont beaux dans la rue et regardez-les. Ils vivent, ils sont là. Bon, n'allez pas jusqu'à les embrasser, mais souriez-leur, quitte à passer pour l'idiot du village. Un jour, vous tomberez sur quelqu'un qui aura le même état d'esprit et vous engagerez la conversation.